lundi 16 décembre 2013

Les transformations de la vendange de la Vigne de la Haumuche : la descente au chai.

Pour valoriser la vendange en produits variés, il faut disposer d'un local adapté. Depuis des temps immémoriaux (En fait je n'ai pas cherché depuis quand la famille possédait ce bâtiment.), la vendange et les vaisseaux* sont descendus au bas-bourg de Bonneuil dans ce que nous appelons aujourd'hui le chai.

Le chai  : Il est installé dans une très vieille bâtisse datant du moyen âge au moins, située dans le bas bourg du village, tout près de l'église, à l'angle de la Place de l’Église et de la rue du Château. 2 corps de bâtiment en pierre, avec étage et grenier, séparés par un mûr épais en constituent la structure. La partie qui est enclavée dans les constructions voisines ne possède pas de façade sur la rue. Elle est accessible uniquement par une vieille porte, elle est désaffectée depuis bien longtemps. La partie ouest, possède 2 étages. Elle a subi de très nombreuses transformations visibles dans les murs. Le rez-de-chaussée a servi d'auberge autrefois. On dit aussi qu'il a hébergé la Mairie du village, juste après la révolution, mais c'est faux. Ladite Mairie était située, à côté du presbytère, à gauche du porche, au-dessus d'une vieille cave dans laquelle on entre par un bel escalier de pierre. En empruntant cet escalier, on y découvre alors, en son centre, une magnifique colonne de pierre, vestige de l'ancien monastère (?), qui a donné son nom au village. Ce couvent aurait été détruit par un incendie dans les années 1510. On en trouve encore des traces dans les pierres roussies de certains murs du quartier et les actes paroissiaux auraient été brûlés alors. On ne peut remonter notre généalogie plus loin dans le temps. J'ai connu ce bâtiment qui servait de silo à blé pour la ferme de mes cousins Bodin. La grange a été rachetée par mon cousin Jean Penot en 2001(au moment des élections municipales !). Il en a fait un confortable studio.
Revenons au chai. Il a donc hébergé une auberge, mais pas la Mairie, et, avant la guerre 39-45, à l'étage, vivait la dernière chaisière* de la paroisse :  Mme Pirronnet. Sa petite fille qui est passée récemment dans le bas-bourg, m'a confirmé la chose. Les membres de la famille Colin en ont été les derniers locataires, jusque dans les années 1960. Jean-Michel Colin y serait né, "un accouchement difficile" m'a raconté mon grand-père. La mère, Étiennette était plutôt bien enveloppée et le bébé plutôt lourd. Tout le voisinage a pu suivre l'évènement.

On entre dans le chai, en contrebas de la place de l'église de 2 bonnes marches, par une très ancienne porte qui n'a plus d'âge. Une porte en bois, avec des charnières qui grincent, une serrure hors d'âge et un loquet comme il n'en existe pratiquement plus. Les planches de chêne sont encore liées ente-elles par des chevilles de bois. On y tient beaucoup à cette porte. J'ai dû me résigner à rajouter un verrou moderne mais discret, suite à 2 cambriolages récents. Plusieurs jolis petits barriquauts (baricauts) pleins de vin ou de vermouth nous ont été dérobés à ces occasions. C'est comme ça. Cette entrée est située sous un escalier extérieur en ciment, fort délabré et très moche, qui permettait d'accéder directement à l'étage. Je ne sais pas si c'est mon grand-père qui l'avait fait faire par un maçon du nom de Derma pour ses locataires, mais ce que ma mère et ma tante Denise m'ont confirmé tout récemment, c'est que ce maçon, artiste à ses heures, avait sculpté, pendant la guerre de 39 - 45 un bel écusson en pierre dans le linteau de la porte de l'étage. On peut y reconnaitre l'initiale D suivie de  P avec probablement d'autres lettres entrelacées (les initiales de Denys Penot mon grand-père), au-dessous, une fleur a été gravée pour compléter ces armoiries. Ce pauvre Derma a été dénoncé comme étant communiste. Il a été déporté et n'est jamais revenu.

Sur cet écusson gravé dans le linteau de la porte du 1er étage du chai
on peut lire les lettres D et P (Denys Penot). et au-dessous une fleur.
La porte du chai très ancienne est en contrebas de la chaussée.

Les panneaux de la porte sont fixés
par des chevilles en bois hors d'âge.

Ce qui me frappe le plus dans cet ensemble de bâtiments ce sont les nombreuses cheminées très anciennes. 2 grandes cheminées superposées, avec corniches pyramidales inversées, trônent dans la partie arrière dont les étages ont été partiellement défoncés. On peut les apercevoir d'en bas. Chaque étage du chai à proprement parler possède bien sûr sa cheminée. Celle du rez-de-chaussée est vraiment particulière. Elle est constituée en fait de 2 cheminées imbriquées l'une dans l'autre. La plus grande très ancienne, avec son chambranle démesuré, soutient les poutres du plafond, la deuxième, tout en pierre taillée semble blottie dans l'âtre de la première. A l'étage, subsiste aussi une jolie petite fenêtre renaissance avec, taillé dans la masse, son siège en pierre. La fenêtre a été murée comme beaucoup d'autres à l'époque où elles étaient taxées.

La cheminée du rez-de-chaussée dans la pièce
attenante au chai.
Il y en a une autre pratiquement identique à l'étage de
ce corps de bâtiment.
La cheminée double du chai, avec la cheminée en
pierre, encastrée dans la plus grande.
Devant on a stocké les portes vitrées de l'ancien
magasin de chaussures..
 Au fond du chai, contre le mur de séparation des 2 corps de bâtiment, on distingue bien nettement l'entrée en demi-cintre d'une cave voutée. Un bel escalier en pierre de taille a été obstrué par des gravats et la cave condamnée (quand ?). En 1974, c'est moi qui ai comblé le seuil avec du ciment et scellé une grille pour en faire un réceptacle pour l'eau de nettoyage des barriques et autres récipients, avec la bénédiction de mon grand-père Denys. J'ai bien envie de rouvrir ce passage et remettre en valeur cette cave qui s'étend sous le corps de bâtiment  arrière. Mon grand-père en avait percé la voute pour en faire des latrines pour ses locataires. Il n'y avait pas le tout à l'égout en ce temps là. Il en avait fait de même avec une autre cave voutée située sous un autre bâtiment de l'autre côté de la Rue du Château pour la maison familiale. C'étaient nos toilettes quand j'étais adolescent, il y faisait froid l'hiver, il n'y avait même pas de lumière et ma petite sœur avait trop peur d'y aller. Tout ça c'est terminé maintenant. Le bas-bourg de Bonneuil doit être truffé de caves de ce genre (J'en connais 2 ou 3 autres au moins.). Le niveau de la Vienne devait être plus bas que ce qu'il est aujourd'hui, malgré la présence d'un barrage en aval du bourg. Et même souvent, il fallait descendre 2 ou 3 marches pour entrer dans les vieilles bâtisses du quartier.



Vue du seuil de la cave située au fond du chai. Autrefois, le chai
a été une auberge. On entreposait les barriques dans la cave.
Une marque d'usure dans la pierre centrale du seuil laisse
imaginer les efforts de mes ancêtres. pour descendre les lourdes futailles.


Dans les années 50, le bâtiment a été transformé en garage : une porte de garage a été percée et le beau dallage en partie enlevé. Moi qui souhaite une hygiène impeccable dans le chai, j'ai beaucoup de mal à nettoyer les joints plus ou moins profonds et larges, laissés entre les grosses dalles restantes. Mais c'est rustique et beau. En effet, ce dallage est fait de grosses pierres calcaires polies, provenant des carrières proches, de Lavoux ou de Chauvigny, mais plus probablement de la carrière du Goulet (?). Mon grand-père me parlait souvent d'une autre carrière à Bonneuil mais disparue aujourd'hui. On y extrayait une pierre de très bonne qualité qui aurait été utilisée jusqu'à Paris pour la construction de bâtiments prestigieux. C'est Camille Benoît, un vieux maçon du village à qui l'on doit de nombreuses constructions solides, qui m'a raconté ça. Était-ce pour agrandir le chai que cette ouverture a été pratiquée ? Je pense que c'est plutôt pour y garer la fourgonnette Peugeot que mon grand-père avait acquise et que mon père utilisait pour effectuer ses tournées de chaussures dans tous les villages voisins de Bonneuil, jusqu'à Saint Georges et Dissay  d'un côté et Senillé et Targé de l'autre.

C'est pour abriter le petit fourgon Peugeot destiné aux tournées de chaussures
qu'une porte de garage a été percée dans la façade ouest du bâtiment qui sert de chai aujourd'hui.
Le commerce était prioritaire devant tout le reste, normal car la vente des chaussures  constituait le revenu financier principal. Cette belle maison datant du moyen âge au moins en a été toute défigurée, mais ceci permet aujourd'hui d'encuver la vendange dans le chai avec un minimum de manipulations.
Il faut rentrer dans la bâtisse à reculons, en poussant la remorque portant un charreau bien plein et en passant par cette porte tout juste assez large. La manœuvre est périlleuse, il y a un caniveau et un petit trottoir à enjamber qui compliquent l'affaire. Il faut s'arrêter juste assez profondément dans le chai pour que la cuve soit suffisamment proche du pressoir.  Il faut aussi s'assurer que l'on puisse ouvrir au moins une portière de la voiture tractrice car l'engin se retrouve coincé entre les 2 montants de la porte percée dans un mur épais de 60 cm. C'est du travail de spécialiste !

La descente de la vigne au chai : Bon voilà, cette année la vendange est arrivée à bon port, sans encombres. Le charreau ne s'est pas renversé dans la côte de La Goutaille comme c'était arrivé une fois. Il y avait trop de raisins cette année là. Les cuveaux débordaient et le pauvre cheval de l'Oncle Roger Prudent s'était laissé emporter dans la descente, tout avait chu dans le fossé.
 (Comme la Marie Louise de la chanson..."Tint te bin j'allons chalouper, si te t'tins pas tu chéras Marie-Louise, Tint te bin, j'allons chalouper, si te tins pas te chéras dans l'foussé."). Un drame. En fait, l'oncle Prudent qui n'avait pas été prudent cette journée là.  C'était un grand gaillard, costaud et gentil. En vérité il s'appelait Auguste de son nom, un descendant de champis* donc sans doute, comme aurait dit mon grand-père.
Je me souviens pour une vendange, je descendais la remorque derrière la Renault 12 break de mon père et  j'ai bien failli en faire autant. Abordant ladite descente de La Goutaille un peu trop vite, quand j'ai commencé à freiner, la remorque m'a poussé et la voiture a commencé à partir en crabe. Pour éviter la catastrophe, j'ai  accéléré au contraire pour redresser l'attelage et essayer de contrôler au mieux la trajectoire de l'équipage. Ça allait de plus en plus vite, les petits virages le long du ruisseau ont été pris tant bien que mal, heureusement personne n'arrivait en face. Une fois arrivé au bas de la descente, il y avait un faux plat qui m'a permis de freiner doucement jusqu'au croisement du chemin avec la grand-route de Poitiers, au carrefour du Pontreau où ça remonte un peu. Mais quelle frayeur ! Depuis, je marque un temps d'arrêt avant d'aborder la grande descente et même comme ça, il ne faut surtout pas se laisser emporter par la vitesse, sinon c'est "une belle Marie-Louise" ! En y regardant de plus près, la vigne étant située au plus haut du coteau, la route descend pratiquement tout le temps depuis l’Âne vert, le fief de Mimile, jusqu'au chai.
Après, on passe devant la gendarmerie, discrètement, des fois qu’on serait en surcharge ! Ensuite, on traverse la place du champ de foire. Le bourlot, brandi à l'arrière de la cuve, intrigue les ignorants. D'autres nous font un petit signe amical. Nous, on est fier, on klaxonnerait presque comme pour les défilés des mariages.
Je préfère passer pas la Poste plutôt que par la Grand-rue, ça descend moins par là vers le bas-bourg.
Le périple se termine enfin au bout de la rue du Château, face à la maison familiale. Je m'arrête alors en bas de la Grand-rue et je me retrouve dos à la porte du chai. Il n'y a plus qu'à reculer.
On n'a pas crevé non plus ! eh ! oui, ça aussi, c'est déjà arrivé...
Les autres vont se ranger sur la Place de l'église. La petite remorque avec ses bailles pleines de raisin blanc se place en face de la vieille, très vieille porte du chai. C'est vrai, elle est si ancienne avec ses clous en bois et sa targette d'un autre temps. D'abord pour entrer par cette porte dans le chai, il faut descendre 2 marches et se baisser, car elle n'est pas bien haute et donc il faut inévitablement enlever son chapeau, si on en porte un, et faire une sorte de révérence en signe d’allégeance à cet endroit mythique. A ce propos, même les femmes peuvent entrer dans le chai de nos jours. Autrefois, ce n'était pas le cas. On prétendait que les femmes qui avaient leurs règles pouvaient faire tourner le vin. Tu parles ! C'était juste pour qu'elles ne voient pas ce qui pouvait bien se tramer à l'intérieur... Mais aujourd'hui, elles peuvent entrer, car on a bien besoin d'elles dans le chai !
Ah ! au fait, il y a toujours une place de libre pour se garer devant la porte du chai, car, le matin des vendanges, on confectionne une petite pancarte mentionnant quelque chose du genre :"Prière de ne pas stationner, vendanges de la Haumuche.", que l'on accroche au vieil escalier en ciment collé au mur du chai.
En 2010, on a pris le temps de confectionner une belle pancarte
pour libérer de la place devant le chai..

Celle de 2013  est plus rudimentaire mais tout aussi efficace.
On va maintenant procéder aux premières transformations de cette précieuse récolte, à suivre...
* vaisseaux : "As-tu préparé tes vaisseaux ?" disait mon grand-père a ses collègues vignerons qu'il croisait à l'approche des vendanges. Les vaisseaux constituent l'ensemble des récipients et véhicules qui vont être utilisés lors des vendanges et après. On vérifie l'état de tout cet arsenal, effectue les réparations, nettoie soigneusement pressoir, égrennoir et autres ustensiles.  C'est aussi le moment de faire combuger cassette, bailles, barriques, tonnes, charreaux et tonneux en les arrosant régulièrement d'eau chaude après les avoir nettoyés à la brosse à chiendent.

*chaisière : la chaisière de la paroisse vendait les cierges qui  étaient allumés dans l'église pour remercier Dieu, un Saint ou demander une Grâce. C'est elle aussi qui s'occupait de la quête lors des messes du dimanche ou des cérémonies religieuses dans l'église. On peut aussi penser que c'est elle qui gérait les places numérotées et marquées au nom des familles prestigieuses du village. il fallait payer plus pour avoir une place bien en vue. Bref, c'est la chaisière qui s'occupait des affaires d'argent du curé. 
  
* Champis : c'est ainsi qu'on appelait les enfants de l'assistance publique.
Les pauvres bébés abandonnés,  par leur mère le plus souvent et déposés sous le porche de l'église ou à l'entrée du couvent. Les sœurs qui recueillaient l'enfant anonyme lui donnaient pour nom, celui du saint du jour.
C'est ainsi que les personnes dont le nom est un prénom sont très certainement des descendants de champis.