lundi 10 février 2014

La transformation de la vendange de la vigne de La Haumuche : l'égrenoir et le pressoir et le tonneau

Le soir même des vendanges, les comportes contenant les raisins blancs sont descendus de la petite remorque et du coffre du Scenic et vont être vidés dans le pressoir après passage dans l'égrenoir. Ce n'est pas si facile que ça. On transvase, à 2, une partie des grappes dans une baille qui passe juste entre les poutres du plafond et le haut de l'égrenoir et l'on verse avec précaution dans le goulet conique en veillant à ne pas laisser échapper une graine. C'est encore du travail d'expert. Mais les jeunes sont bien formés maintenant. Il vous remplissent le pressoir en un petit quart d'heure. Mathieu et Luc s'en sortent particulièrement bien. Vincent participe à la manœuvre, sans compter les filles qui adorent ça. Ensuite, on presse les raisins après avoir bien installé la cage du pressoir, le chapeau, les bois. La petite barre puis la grande barre font tourner le gros écrou, il faut même s'y mettre à deux pour augmenter la pression sur les raisins. C'est un travail de force et là aussi tout le monde aime bien s'y coller.

L'égrenoir :   

Cet appareil, sert à écraser les graines de raisin pour en faciliter l'extraction du jus. Ce sont 2 rouleaux métalliques dentés, contrarotatifs (qui tournent en sens contraire l'un de l'autre, il n'y a qu'à faire le geste avec les 2 mains  l'index tendu  !) entre lesquels on va faire passer les raisins avant de les presser. Les spécialistes les appellent aussi fouloirs ou fouloir-égrappoir. Auparavant mon père transportait l'égrenoir dans la vigne. On le plaçait sur la cuve et l'on vidait la vendange dedans depuis la hotte. C'est Aline qui se mettait, même toute jeune, à la grosse manivelle en fonte et broyait le raisin frais, elle aimait beaucoup ça. Mais maintenant pour préserver toute sa fraîcheur au raisin et pour éviter que le jus ne s'oxyde au contact de l'air une fois la peau de la graine déchirée, au contraire, on manipule les grappes de façon à garder les graines intactes le plus longtemps possible.


Avant, du temps de mon père, l'égrenoir était perché sur la cuve
à vendange et l'on y versait le raisin directement depuis la hotte.
C'était haut ! 
Maintenant, l'égrenoir ne sort plus du chai. Il est placé sur
le pressoir pour égrener le raisin blanc, le soir même des vendanges.

La préparation est minutieuse. La grosse manivelle en fonte est fragile.
Voilà, tout est en place, on va pouvoir vider les bailles.
Il reste peu de place sous le plafond.

N'est-elle pas belle cette vendange ?
 Du Sauvignon et du Chardonnay bien mûrs.
De la vieille mécanique robuste mais qui vieillit tout doucement.
Il faut l'entretenir.
Allez, tournez manège.
Le service de l'égrenoir est terminé, il faut faire la lessive.
Et voilà, les raisins blancs sont écrasés et arrivés dans le pressoir.
On va passer à la phase suivante
 La phase suivante, c'est le pressurage..... 

Le pressoir : 

 Cet appareil est utilisé pour presser les raisins pour en extraire le jus. C'est en 1975, je crois, que mon père s'est procuré le pressoir que nous utilisons aujourd'hui encore. Nous étions allés le chercher lui et moi du côté d'Availles en Châtellerault si mes souvenirs sont corrects. Il l'avait déniché chez un ancien client, un vieil agriculteur aux grands pieds... Pour charger cet appareil dans la remorque (je me demande si ce n'était pas la remorque de mon petit dériveur que j'avais modifiée en fabricant un plateau sur le châssis métallique) on avait entrepris de démonter ce pressoir. On avait d'abord enlevé la cage. C'est ainsi que se nomme le cadre cylindrique en bois cerclé de fer, qui fait environ 1 m de diamètre pour autant de haut et qui va recevoir le raisin.
 
Vue générale du pressoir, avec sa cage en bois et la mécanique qui descend le long de la grosse vis centrale.
La cage se sépare en 2 éléments identiques. Des poignées en facilitent la manutention. Un jeu de 6 clés, barreaux d'acier un peu tordus, une forme judicieusement étudiée, maintient fermement collés les 2 éléments (J'ai confectionné des petites cales de centrage que l'on met tout autour de la cage pour bien la centrer). Ensuite, on trouve les bois. De bas en haut, on trouve d'abord posé sur la vendange que l'on va presser un disque de bois qui fait bien 5 cm d'épaisseur. Il est ajusté au diamètre intérieur de la cage et percé en son centre pour laisser passer la grosse vis centrale. Ce chapeau est constitué de 6 pièces de bois munies de poignées que l'on positionne avec précaution dans la cage. Au-dessus, on place les bois en quinconce. 
Le centrage des bois dans la cage demande beaucoup d'attention.
Les bois intermédiaires sont lourds.
Ce sont des entretoises en chêne de 12 x 12 cm2 de section et de différentes longueurs qui reposent d'abord sur le chapeau pour les 4 premières en veillant à ce qu'elles touchent tous les éléments du disque, puis 2 autres à 90 ° par dessus les premières, et encore 2 autres jusqu'à ce que la construction dépasse largement au-dessus de la cage. Tout cet ensemble repose sur un plateau métallique circulaire inférieur qui comporte 4 pieds eux aussi en fer. Un petit rebord de fer entoure ce plateau pour retenir le jus qui sort de la cage et qui converge vers une gargouille elle aussi en métal. 

Le bon jus de raisin transpire de la cage et s'écoule par la gargouille
de fer dans le cuveau.

L'ennui, avec le Noah, c'est que la pulpe gélatineuse
passe à travers les barreaux de la cage.
Au centre du plateau, se dresse verticalement une vis d'acier d'environ 10 cm de diamètre et toute la mécanique du pressoir qui s'enroule et descend autour de cette vis va venir écraser les raisins coincés entre le plancher du pressoir, le chapeau de bois et la cage.
 
Au-dessus d'une dernière travée de bois, la mécanique en fonte fait descendre le chapeau pour écraser le raisin.
 Un système astucieux et robuste fait tourner un énorme écrou autour de la vis centrale, grâce à un grand levier animé d'un mouvement de va et vient et ainsi  fait descendre inexorablement l'assemblage des bois.

Le levier avec la grande barre fait descendre les éléments de bois
dans un mouvement de va et vient.
La clavette avec ses pans inclinés se soulève puis redescend
dans son logement pour faire avancer l'écrou sur la vis.
L'écrou possède un plateau circulaire horizontal de fonte épaisse percée de 2 rangées de lumières (trous de section rectangulaire d'environ 3 cm par 2 cm) dans lesquels vont venir glisser 2 clavettes. Suspendu sous ce disque et solidaire de la première travée de bois, un levier de grand rapport de force entraine l'écrou dans son mouvement alternatif. Quand le levier va dans un sens, les clavettes d'acier se soulèvent grâce à leur pan incliné et retombent dans la lumière suivante, faisant un joli son métallique. Lorsque le levier retourne, la clavette ne soulève pas, elle pousse l'écrou qui va tourner un peu autour de la vis. Et comme il y a 2 clavettes diamétralement opposées, chaque mouvement du levier fait avancer une clavette ou l'autre alternativement. Pour changer le mouvement de sens et remonter l'écrou, il suffit de retourner les clavettes et leur pan incliné change de sens. La mécanique possède même 2 vitesses car 2  logements et 2 rangées de lumières ont été aménagées sur 2 cercles de diamètres différents.


En exclusivité, le chant du pressoir.

Et pour terminer mon histoire de déménagement du pressoir, après avoir enlevé toutes les pièces de bois, lorsque nous sommes arrivés au démontage de la tête en fonte, nous ne savions pas trop comment faire. Les 4 bonshommes, le vieil agriculteur, un membre de sa famille, mon père et moi, debout sur le rebord du plateau du pressoir, examinions cette mécanique avec appréhension. Sans prévenir, quelqu'un tira sur une goupille qui se trouvait là du côté de l'axe du levier et l'ensemble de la mécanique sauf  l'écrou tomba brusquement de toute la hauteur du pressoir dans un grand fracas. On se regarda, surpris autour de la vis et c'est à ce moment que notre agriculteur poussa un grand cri de douleur. Il avait de trop grands pieds et la fonte et les gros bois et le reste lui étaient tombés sur le bout des pieds. Nous avons quand même chargé le pressoir dans la remorque,  bu un coup et payé en liquide naturellement. Sur notre insistance nous avons examiné le pied de notre pauvre ami. Il a eu beaucoup de mal à enlever son gros brodequin et nous avons tout de suite vu ses orteils déjà gonflés et tout bleus. Quelques jours plus tard il nous a appris qu'il s'était bien cassé quelques orteils. Je n'ai pas de souvenir particulier du voyage avec le pressoir, tout s'est donc bien passé par la suite, y compris son installation dans le chai et le réglage de la pente du plateau pour l'écoulement du bon jus dans la gargouille et rien que par là.

Au début du pressurage, la cage était pratiquement pleine.
A la fin du pressurage, il ne reste plus qu'une galette de râpe bien sèche.

Le tonneau :

Cet appareil, ou plutôt ces appareils vont réceptionner la vendange. Il y avait le tonneau et les barriques (je parle au passé car je ne les utilise plus aujourd'hui. Dans les années 90, mon père a acheté un garde-vin en fibre de verre de 10 hL pour remplacer le tonneau, la vendange fermentant directement dans le charreau inox. ). Ce sont des grands récipients en bois. Dans le tonneau, on faisait fermenter la vendange constituée des raisins rouges passés à l'égrenoir. On y ajoutait souvent la galette de raisins blancs que l'on avait pressée, il fallait tirer parti de tout !

Le vieux tonneau en chêne de 25 hL et de 350 kg à vide ne sert plus aujourd'hui.
Il mesure 1,5 m de haut et 1,5 m de diamètre.

 Il fallait transvaser la vendange fraîche depuis la cuve dans le tonneau, d'abord à la fourche, puis au seau. C'était fastidieux. Ensuite on constituait un couvercle circulaire de planches de bois qui reposait sur la vendange. On le calait avec des poteaux sous le plafond du chai pour faire une fermentation à chapeau immergé*.
En bas du tonneau un gros robinet de bois permet d'extraire le jus. Afin qu'il ne se bouche pas, on confectionnait une crépine avec une petite brassée de sarments frais que l'on liait avec une ficelle. On faisait sortir les 2 bouts du lien par le trou du tonneau puis on enfonçait le robinet au maillet, en tirant bien sur la ficelle pour que la crépine reste bien placée devant l'entrée du robinet.
C'est surtout quand il fallait dépoter* la vendange que c'était compliqué. On descendait dans le tonneau pour le vider de son contenu dans le pressoir. Une bonne odeur de vin nouveau remplissait les narines, mais c'est surtout le gaz carbonique asphyxiant qui avait été émis en grande quantité au cours de la fermentation qui était dangereux. Au bout d'une ficelle, on faisait descendre une bougie allumée dans le tonneau et on remontait souvent au-dessus de l'ouverture pour respirer un bol d'air frais.

 

Le coup du lapin sur la tête de robinet : 

J'avais juste 18 ans, je venais de passer mon permis de conduire. C'est mon grand-père maternel "mon grand-père Fati" qui m'avait appris. Quand il avait pris sa retraite de garagiste, il avait monté une activité d'auto école. Il  a ainsi appris à conduire toute une génération de Bonnimatois. Il savait y faire. Alors, un soir, quelques jours après les vendanges, en rentrant de je ne sais où avec l'amie six break Citroën de mon père, j'ai entrepris de la ranger dans son garage qui n'était autre que le chai. Au fond, il y avait le tonneau plein de vendange qui fermentait. Une fausse manœuvre de débutant, l'angoisse, mon pied glisse du frein, la voiture fait un soubresaut et va heurter le tonneau ! J'essaye une marche arrière et réussis tant bien que mal à dégager la voiture. Vite je descend constater les dégâts. Ouf rien ne coule du tonneau, mais le robinet est cassé net au niveau de la poignée. On ne peut plus ni l'ouvrir, ni le fermer. Je vais prévenir mon grand-père, l'autre, Denys, le vigneron. Il arrive sans tarder et constate avec stupeur que sa vendange est menacée. C'est probablement une des rares fois où je me suis pris une engueulade de sa part : "Espèce de petit couillon, tu pouvais pas faire attention ? ". Après expertise du robinet il est allé fouiner dans une vieille boîte posée sur l'étagère. Il en a extrait une nouvelle tête de robinet de la bonne dimension qu'il a enfoncée à la place de la tête cassée. Ouf, on boira du vin nouveau.

Les autres futs :

Au même titre que le tonneau, je n'utilise plus de barriques en bois pour stoker le vin ou le jus de raisin. J'utilise seulement des petits barricots de faible contenance, de 20 L à 60 L pour le Vermouth et les vins spéciaux. Il y a beaucoup de pertes par transpiration à travers les parois de bois et souvent des mauvais goûts apparaissent.
La collection de petits fûts avant que je m'en fasse dérober 2 à 2 reprises.
 Il fallait les nettoyer en les remuant sur un vieux pneu. On mettait une chaîne à l'intérieur pour détacher la gravelle*. Après les avoir fait sécher, quand on ne les utilisait pas il fallait les mécher*. Pour éviter que le vin ne s'oxyde et ne se transforme en vinaigre au contact de l'air il faut toujours ouiller* les barriques. Avec le garde-vin de 1000 L acheté par mon père et pour lequel j'ai fait faire un couvercle étanche sur mesure, j'ai complété les fûts avec un garde-vin de 500 L acheté à l'automne 2013, 1 garde vin de 200 L  et 2 garde-vin de 100 L.  Tous possèdent un couvercle flottant avec une chambre à air périphérique qui assure l'étanchéité et l'absence d'air au contact du vin, gage d'une bonne conservation. Malheureusement c'est difficile de se tirer une petite chopine de vin au larron*.
La cuve de 500 L possède un douzil* moderne, un petit robinet placé à mis hauteur, qui a bien moins de charme que le petit coin de bois que l'on retirait et qui laissait sortir un petit jet laminaire de vin (à la condition de déboîter la bonde du fût pour laisser rentrer l'air).

Bon voilà, le matériel est prêt, on va pouvoir procéder aux diverses vinifications, à suivre donc...


* chapeau immergé : au cours de la fermentation des raisins, la pulpe et les rafles ont tendance à remonter à la surface.
Une couche de plusieurs centimètres de matière solide recouvre alors le jus en fermentation. C'est pour maintenir cette matière humide et en extraire ses composants qu'on la maintient immergée avec un couvercle non étanche qui appuie dessus.
* dépoter la vendange : opération qui consiste à vider le tonneau du jus de raisin fermenté et des restes de pulpe et de rafle en vue de les presser pour en extraire tout le jus. C'est une opération salissante et fastidieuse, une des moins amusantes de toutes celles qui concernent la vigne et la vinification.

* la gravelle : c'est un dépôt de sel de tartre (tartrate de potassium ou de calcium ?) non soluble qui est produit par les levures lors de la fermentation . Cette gravelle constituée d'une multitude de petits cristaux est souvent difficile à détacher des parois.
* mécher la barrique : pour aseptiser la barrique, on fait brûler une petite mèche de souffre suspendue à un crochet en veillant  à bien reboucher avec une bonde de liège ou de bois.
* Ouiller la barrique : opération qui consiste à maintenir le fut complètement plein de façon à ce que le liquide ne soit pas en contact direct avec l'air, sinon, il y a oxydation et transformation en vinaigre.

* Larron : " Hors mis qu'on y goûte, va donc tirer à boire au larron" me disait mon grand père. Alors je décrochais le tuyau de caoutchouc de son clou l'introduisais par la bonde, aspirais un grand coup jusqu'à en avaler une bonne goulée, et recueillais le précieux breuvage dans le verre à dégustation.

* Douzil (ou dousil) : petite fiche de bois conique qui obstrue un petit trou pratiqué dans la façade de la barrique. On le retire et jaillit un petit jet laminaire de vin. Le chalenge est de bien remettre le douzil avant que ça déborde
Dicton : "S'il tonne en Avril, vigneron scie le douzil.".
Voir "la confrérie des Tire Douzils".