mardi 5 mars 2013

La taille de la Vigne de la Haumuche, l'esprit de la taille

L'esprit de la taille

La taille de la vigne constitue sans doute l'intervention la plus excitante dans la vigne. 
A la fin de l'hiver, on va procéder au grand nettoyage de la vigne en supprimant la grande majorité des sarments qui ont poussé durant l'année précédente. C'est le grand désordre dans les rangs et on va remettre tout ça en ordre, bien aligné, bien "rangé".
Lors des principaux travaux dans la vigne, comme l'échenillage, les traitements, le rognage ou autres, les ceps sont tous considérés de la même façon. On regarde le rang, l'ensemble. Mais là, lors de la taille, chaque cep retrouve sa personnalité, il devient une véritable entité, un exemplaire unique avec ses particularités, son aspect, sa vigueur, son histoire, ses cicatrices... 
Alors, je l'examine avec attention, l'inspecte, le bichonne. Je sculpte véritablement sa matière vivante pour obtenir les résultats techniques et esthétiques recherchés. Oui ! Un cep taillé doit être beau, harmonieux dans ses lignes. Il doit dégager de la force et laisser deviner un développement vigoureux et bien équilibré. 
Je travaille le plus souvent à genou, comme en prière, c'est surtout que ça soulage mon dos toujours un peu fragile. Et je le vois mieux Le Cep. Je repère les coupes de l'année passée. "Tiens ici la gelée n'a pas permis de développer le bois que je cherchais à obtenir". "Quel régal pour celui-là, je coupe là et là et ce sera parfait". 
Sur un vieux cep, je vois de nombreux restes de coupe. Ces grosses marques là, sur le côté, c'est mon vieux père qui les a pratiquées sans aucun doute. Quand j'étais jeune, il me suivait de près quand on taillait "Taille le pas trop haut celui-là, il faut qu'il profite de la chaleur des silex. Enlève encore un œil, t'en laisse trop, ça va le fatiguer..."  Me disait-il. Aujourd'hui, je pense souvent à ce que m'aurait dit mon père sur un cas difficile. Il y avait débat, et souvent accord, mais toujours je l'écoutais. Il avait le sens de la bonne taille.
Aujourd'hui, un couple de perdrix est venu admirer la taille de la vigne.
Plus loin, ce cep paraît encore plus vieux, mon grand-père aurait pu s'en occuper. Alors je me prends d'affection pour ce survivant et me mets à rêver. Je le revois, mon grand-père, tapotant le cep avec le bout de son sécateur et me disant "Tu vois celui-là, c'est un tank, un teinturier... tu peux lui laisser un bon bois car il est vigoureux...". Et puis, après avoir terminé la toilette dudit cep, il se relevait pour admirer son travail. Il prenait alors le temps de se rouler, d'une seule main  (véridique !), une de ses fameuses cigarettes (il m'a fait goûter ! Mais moi j'avais droit à une cigarette de poitrinaire comme il disait, fine comme un bâton de sucette et seulement les jours de fête.). Après avoir soigneusement puisé du pousse et de l'index une pincée de tabac dans le petit sac de Gris, il la déposait très délicatement dans la feuille de Job qu'il avait étalée entre l'autre pouce et l'autre index et creusée d'un petit sillon d'un geste rapide de petit doigt tendu. D'une manipulation digne d'un prestidigitateur, trois doigts se contorsionnaient et la cigarette apparaissait soudain entre ses doigts. Il humectait d'un coup de revers de langue, entre 2 mots de son histoire, le bord du papier et s'assurait de l'étanchéité de la jointure. Satisfait, il portait le régulier cylindre blanchâtre à ses lèvres. Il l'allumait souvent plus tard, à la fin de son histoire, beaucoup plus tard donc, et le mégot au coin de la lèvre, oscillant au rythme des syllabes, mon grand-père se penchait sur le cep d'après...
Oh ! Celui-là, je me souviens c'est Aline ou peut-être Anna qui l'ont taillé il y a 2 ans. Une belle tentative, originale et astucieuse pour redonner à ce cep une fière allure en laissant un petit onglet assez bas pour que je puisse le rabattre maintenant. Je ne m'en prive pas, ce cep avait l'air d'une girafe.
La taille, c'est vraiment un moment fort. Rien n'est répétitif, chaque cep est un cas particulier, il faut examiner, réfléchir, échafauder un scénario, puis passer à l'acte, avec un peu de stress même parfois. Si la manœuvre échouait ?. Il y a de l'émotion, des souvenirs aussi. Aujourd'hui, il faisait très beau, même un peu chaud, un petit vent de sud soufflait par intermittence transportant les premiers chants du faisan faisant sa cour. Je comprends pourquoi j'aime ça tailler la vigne...

La technique de la taille

à suivre

La pratique de la taille

à suivre


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